mardi 2 mars 2010

Quelques propos sur les GES

Ce billet a pour but de corriger certaines idées reçues. On s'en prend ces derniers temps au consensus sur les GES, et l'on discrédite de plus en plus souvent la corrélation entre GES et réchauffement global. On utilise, de surcroit, la critique de ceux qui saisissent l'ampleur du réchauffement climatique pour également diffuser de fausses croyances à l'égard de la gauche, que l'on qualifie paresseusement de gogauche, quand on ne les traite pas simplement de «communistes». Enfin, on égratigne également certains critiques québécois, de la gauche ou encore des environnementalistes , en faisant la promotion de l'exploitation des sables bitumineux comme un processus d'enrichissement collectif que nous ne devons surtout pas risquer d'enrayer. La sortie de Monsieur Bernier est symptomatique de cette tendance. Tous ces propos ne rendent ni service à la société, ni à l'économie, ni ne servent l'environnement.


Tout d'abord, on a beaucoup mis en cause la véracité du rapport entre GES et réchauffement climatique. Il faut savoir que «corrélation» ne veut pas dire implicitement «lien direct de cause à effet». Un super site, qui fait de la très bonne vulgarisation, pourra d'ailleurs en éclairer plusieurs sur le sujet. Il semble pourtant subsister une contradiction : sur une échelle de temps géologique, l'augmentation des températures précède d'ordinaire celle du CO2. Pourquoi s'en fait-on maintenant que le CO2 est en augmentation alors que la température globale ne suit pas directement, comme certains modèles l'avaient prédit? N'est-ce pas la preuve que le réchauffement d'origine anthropique est factice? N'aurions-nous pas crié au loup pour rien?

http://cedric.ringenbach.com/2009/07/19/correlation-entre-co2-et-temperature/

D'ordinaire, c'est l'augmentation de la chaleur qui fait fondre la banquise et diminue l'albédo (le processus de réflexion des rayons de la planète) et qui génère une augmentation du CO2 naturellement stocké (dans la terre et l'océan). Ce qui caractérise notre période, c'est que nous avons libéré suffisamment de CO2 (et autres GES) pour que celui-ci précède une augmentation de la température qui soit d'origine naturelle (les fameux cycles de variation de l'inclinaison de la Terre dans sa révolution et les cycles de variation de l'intensité du rayonnement solaire). C'est précisément le caractère sans précédent de l'événement qui nous inquiète.

Ceux qui réfutent l'existence d'un quelconque réchauffement utilisent l'argument de l'optimum médiéval, qui se résume à « il a déjà fait plus chaud », l'argument que nous leur opposons est le suivant : certes, il a déjà fait plus chaud, mais à cette chaleur correspondait aussi un certain niveau de GES (lequel était inférieur au niveau actuel) et ce réchauffement était d'origine naturelle, rien n'est venu entraver la régulation naturelle (comme le Petit Âge glaciaire, qui a suivi cet «optimum»). Ce qui est alarmant, c'est que notre climat se soit réchauffé, que cela représente une tendance sur tout un siècle (donc un phénomène vérifiable, mais surprenant à l'échelle d'un temps géologique) et que l'on puisse corréler le phénomène à l'augmentation des émissions de GES d'origine humaine, et qu'enfin, toute cette thèse repose sur une explication rationnelle légitimée par notre compréhension de la physique, de la chimie et des sciences climatiques.

Les «croyants » du réchauffement, pour reprendre un terme péjoratif nouvellement répandu, le sont d'autant plus qu'ils se basent non pas sur des éléments religieux, des idéologies ou des dogmes, mais sur les prémisses qui sont sensiblement les mêmes que celles que nous ont expliquées Mendeleïv, Lavoisier ou Newton. Les «sceptiques»évacuent l'aspect scientifique de la position «réchauffiste» et en font simplement une croyance. Les «réchauffistes» de leur côté signalent que la croyance a peu à voir avec le phénomène : on ne peut empêcher la physique et la chimie à faire leur boulot.

Alors que si nous restons dans le domaine de la croyance, disons celui de la religion, vous pouvez, par exemple, bien croire que je vais brûler en enfer si je fais certains péchés, vous n'avez pas d'évidence expérimentale pour me convaincre rationnellement, vous admettez que votre conviction repose sur la foi. La science, elle, en ce qui a trait à son champ d'expertise, peut en arriver à faire suffisamment d'expérimentations et de vérifications théoriques qu'elle arrive à pouvoir faire des assertions qui ont une telles validité, qu'elles ont une grande valeur prédictive. La conviction, dans ce cas, réside dans l'expérience et non dans la croyance.

Si un nouveau paradigme, de nouvelles expériences et/ou de nouvelles théories viennent invalider une explication que l'on croyait acquise, devant l'incapacité à expliquer un nouveau phénomène, le scientifique devra changer son fusil d'épaule et accepter la théorie la plus satisfaisante. Les «croyances» sont donc, en science, mobiles, mais elles ne changent pas au gré des humeurs, elles changent parce que nous développons plus d'acuité.

C'est au nom de cette logique, c'est pour répondre à cette cohérence que les scientifiques vont «réagir promptement à une opinion contraire». Si une opinion «contraire» à ce que permet de vérifier un ensemble d'énoncés scientifiques est proposée, elle doit être très fortement appuyée et méthodologiquement solide pour renverser ce que l'on assumait scientifiquement comme une évidence.


Les incidents éthiques du CRU et du GIEC sont malheureux, ils témoignent également peut-être d'une manipulation, mais ils ne sauraient constituer de preuves en soi. Les utiliser comme évidence est tout aussi fallacieux que les torts qu'on leur reproche. Le CLIMATEGATE, seul, ne peut suffire à invalider la corrélation entre GES et réchauffement climatique. Toute sortie favorable aux thèses sceptiques, même dans le scandale, devrait être accompagnée d'études rigoureuses et d'analyses fines. La sortie «sceptique» de Monsieur Bernier ne comportait ni l'une ni l'autre.


D'autre part, pour reprendre des commentaires critiques courants à l'égard des diverses propositions d'une gestion étatique plus serrée et plus investie des retombées financières de l'exploitation des ressources naturelles, il vaut la peine de retourner contre elle-même la fameuse logique néolibérale (voire néoconservatrice) :

Qu'est-ce qui légitimise l'État, au nom des citoyens, à permettre à des entreprises privées de s'approprier des ressources pour lesquelles il est impossible de statuer de la véritable propriété? À qui appartient le sous-sol albertain? Aux Premières Nations, aux premiers habitants de la région, au Albertains, aux Canadiens, aux Terriens? Je vous rappelle que les compagnies qui exploitent les sables bitumineux peuvent, en vertu des clauses de libre-échange vendre directement du brut aux américains. Ce faisant, nous nous privons d'une importante marge en nous privant d'une partie des ventes des produits raffinés, pis, nous perdons des raffineries (ex. Shell qui ferme dans l'Est de Montréal). Plus absurde, l'oléoduc qui sera utilisé pour acheminer ledit brut pourrait compromettre la santé et la sécurité d'une part importante du territoire québécois.

http://www.cyberpresse.ca/la-voix-de-lest/libre/201002/13/01-949341-mulcair-craint-pour-lenvironnement.php

Par ailleurs, l'exploitation comme telle des sables bitumineux est extrêmement polluante : il faut ajouter à son potentiel contaminant, l'effet conjugué de la perte sèche du tampon naturel que constitue cet immense territoire à la suppression du puits naturel que constitue la forêt boréale.

De telles transformations entrainent des conséquences pour tous les citoyens, et si vous acceptez la thèse du réchauffement anthropique, vous devez automatiquement accepter que l'industrie des sables bitumineux génère des effets extrêmement négatifs : disparition du puits de la forêt boréale, impact sur la biodiversité, émissions de GES dès l'extraction et pour le transport, émissions pour les chauffer, gaspillage et contamination de l'eau pour les laver, pollutions à cause de tous les produits chimiques utilisés lors du processus, contamination aux métaux lourds à toutes les étapes et enfin, effets indirects : émissions et pollutions lors du raffinage et ultimement, émissions de GES lors de la consommation de l'essence produite.

Comme toute personne de bonne foi le constate, le bilan des émissions et de la pollution attribuable à la production de pétrole à partir des sables bitumineux est gargantuesque. Un tel bilan à de tels effets, qu'il est forcément de nature publique et concerne la société civile dans son ensemble, des enjeux économiques, d'environnementaux, sociaux et de santé publique sont donc corollaires à ladite exploitation.

On ne peut donc raisonnablement laisser cette question aux mains du marché. Le privé poursuit son propre intérêt : généralement la réussite, le profit individuel (le tout dans un climat de compétition), et ce, au détriment du collectif. Les politiciens, qui , comme Harper ou Bernier, veulent nous faire avaler la couleuvre qui prétend que cet enrichissement des particuliers est prompt à créer de la richesse pour tous, nous induisent en erreur. Même en état de prospérité, la lutte pour obtenir son bien exige ensuite un repli sur soi, où le repos est obtenu par des récompenses que seul un haut statut social permet d'obtenir. Plus on monte dans la hiérarchie sociale, plus on devient méritant (parce qu'on peut se payer plus). Cette façon de faire institue implicitement des grilles où les citoyens se comparent pour jouir de leur bonheur. Ce dernier ne peut donc être permanent et l'insatisfaction stimule alors à nouveau la lutte. Cet état de combat, de compétition ne peut qu'exacerber l'individualisme. C'est pourquoi un individu le moindrement instruit à son égard craint un marché dérèglementé : il mine le tissu communautaire, rabaisse la fonction citoyenne à celle d'une clientèle et propose la consommation comme seul projet social.

Vous comprendrez donc, à l'aune cet argumentaire, que la question des revenus liés à l'exploitation des sables bitumineux doit nécessairement passer par l'État et que par ailleurs, ce dernier doit s'assurer de financer suffisamment de mesures et d'infrastructure qu'il doit pallier les effets monstrueux de ladite exploitation.

Le propre du privé est justement d'être «privé», d'être autonome et libre vis-à-vis du public. Regardez comment Yves Michaud doit se battre pour faire valoir ses droits et pour protéger les petits actionnaires, prenez note du mépris des entreprises comme Monsanto, qui étouffe les petits fermiers ou de la Barrick Gold qui se permet des poursuites-baillons. Quand l'intérêt privé prédomine dans une société, il n'est plus possible de rendre des comptes.

L'État n'est pas parfait, mais il est imputable, responsable et se doit d'être transparent. Les grandes entreprises privées ne l'aiment pas précisément parce que ce dernier est le seul ayant suffisamment de pouvoir pour les contrôler. Vous pouvez toujours contrôler l'État, du moins par les élections et les médias. Ou du moins, le surveiller...Si vous diminuez son rôle, vous augmentez celui des entreprises qui cherchent avant tout leur profit. L'État cherche d'abord celui de ses administrés. Enfin, le gouvernement de Monsieur Bernier est en ce moment même en examen pour sa tendance à contrôler, à retenir les informations en dépit des lois, mais nous avons au moins le pouvoir de le soumettre à des mécanismes de régulation. En investissant dans l'État plutôt que dans le privé, nous garantissons que nous aurons toujours un droit de regard, et nous nous assurons que l'équivalent du «profit» que ferait une entreprise privée demeure dans la société (par de meilleurs salaires, de meilleures conditions, un meilleur suivi ou de meilleurs services), sauf évidemment si un gouvernement se met à saboter les moyens de cet État...

Investir dans les technologies, les infrastructures, les habitudes et l'agriculture verte est donc garant d'un enrichissement collectif; investir dans des transports de qualité l'est tout autant. Toutes les grandes villes et les gouvernements subventionnent les transports en commun, ce qui dynamise les échanges. L'argent des contribuables qui dépendent des transports en commun demeure donc dans la collectivité, plutôt que d'enrichir seulement les producteurs de voitures ou de pétrole. La ponction des impôts de tous les contribuables permet un investissement, qui génère un véritable effet de levier, que les citoyens atomisés ne sauraient utiliser autrement. Aucune entreprise ne pourrait réaliser de tels efforts, car elle recherche d'abord et avant tout du profit, et ce profit, elle ne peut le réaliser en immobilisant l'argent dans des chantiers aussi vastes.

Enfin, même Prentice est d'accord avec l'énoncé : « Les investissements dans le transport en commun ne feront pas que créer des emplois et stimuler l’économie; ils nous laisseront aussi un réseau durable qui ouvrira la voie au développement et à la prospérité de Calgary [...] En incitant davantage de gens à utiliser le transport en commun, nous contribuerons à réduire au minimum les émissions de gaz à effet de serre et la congestion et nous améliorerons la qualité de vie et l’environnement des personnes qui habitent la région. »

« En encourageant les gens de Calgary à utiliser le train double de type C, cet investissement majeur contribuera à l’amélioration de la sécurité routière pour les utilisateurs de véhicules motorisés et les piétons ainsi qu’à la réduction des émissions de gaz carbonique de la province, a dit la ministre Redford. Cela contribuera aussi à la création et à la conservation d’emplois en Alberta. »

« Il s’agit d’un important partenariat entre les trois ordres de gouvernement. Nous adoptons une mesure qui stimulera immédiatement la création d’emplois et investissons pour améliorer la mobilité d’une façon qui aura des avantages durables pour notre compétitivité économique dans l’avenir. L’expansion de notre réseau de transport en commun et la modernisation de notre système sont vitales pour l’environnement et pour notre qualité de vie », a dit David Bronconnier, maire de Calgary.



source : http://www.buildingcanada-chantierscanada.gc.ca/media/news-nouvelles/2009/20090519calgary-fra.html


Comment Monsieur Bernier concilie-t-il cette apparente contradiction? Il nie précisément la nécessité d'agir contre les GES en mettant en doute la thèse d'un réchauffement alors que le ministre de l'Environnement du cabinet de son gouvernement accumule du capital politique dans un projet dans lequel il prend spécifiquement acte de la nécessité de réduire les émissions.

On constate donc que même les conservateurs appuient l'État dans son offensive pour développer et investir dans le développement durable, en l'occurrence ici dans les transports en commun. Devant les défis sociaux, médicaux et environnementaux auxquels nous sommes confrontés, nous devons penser l'exploitation des sables bitumineux d'une manière responsable. On doit investir les retombées dans un ensemble de mesures promptes à faire avancer la société : on doit utiliser cet argent pour les écoles, pour les bibliothèques, pour favoriser l'agriculture biologique et la rendre accessible, pour construire entretenir des infrastructures sportives, pour favoriser les arts et l'épanouissement de la culture, pour la recherche et le développement, bref on doit «laver» ces sables en investissant dans des mesures pour améliorer la santé et le bonheur des citoyens. Autrement dit, on doit se servir de l'argent généré par l'exploitation desdits sables pour «racheter» en quelque sorte le bilan négatif que l'extraction et la consommation, encore nécessaire au demeurant, me manquent pas de provoquer.

Si on ne fait que profiter de la manne sans l'investir, nous gaspillons d'une manière honteuse ce que la nature avait mis à notre disposition. C'est comme si nous mangions la poule aux oeufs d'or. Par ailleurs, nous ne devons pas oublier que les richesses dont nous faisons l'extraction sont un emprunt aux générations futures, nous n'avons pas le droit dilapider stupidement un tel capital.



L'engagé

1 commentaire:

  1. Intéressante analyse fouillée avec une réflexion articulée. Il semble bien que, malgré les effets négatifs environnementaux, l'homme ait besoin d'exploiter l'environnement.

    Pour moi, laisser le champ libre aux grandes entreprises dans ces domaines est inquiétant. Mais bon, dans l'idéal, nous serions maîtres chez nous. En réalité, nous vivons dans des rapports de forces et dans un contexte mondial où les forces de productions nécessaires aux humains sont entre les mains de gens qui s'en accaparent pour leur pouvoir propre. Évidemment, cette dilapidation sans contrepartie du patrimoine des hommes à l'heure des défis environnementaux en contexte de globalisation des économie est à questionner sur un plan éthique.

    L'état demeure la seule carte pour régir ces domaines. Et ce n'est pas évidemment bien simple!

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