mercredi 8 juillet 2009

Une fédération arriérée

Madame Françoise Bertrand, Présidente directrice générale de la Fédération des chambres de commerce du Québec, s'est encore exprimée à tort et à travers dans son récent papier favorable au statu quo en matière de politique minière. En résumé, elle prétend que l'industrie minière devrait jouir du même type d'allégements fiscaux que les autres entreprises ou que les particuliers. D'après elle, il est normal de lui consentir des crédits supplémentaires, le tout, pour favoriser de meilleurs investissements et un développement vigoureux. Madame Bertrand, le sous-sol québécois nous appartient, l'extraction de ses richesses non renouvelable se fait sur le dos des générations futures, il ne saurait donc être question de les échanger «pour un plat de lentilles», c'est pourtant la vision que vous encouragez avec vos propos. De plus, les mines sont très polluantes, que l'on parle de fuites de métaux lourds, de produits toxiques, de contamination des réseaux hydriques, de lacs abiotiques, de parcs à résidus miniers acidogènes, le développement minier s'accompagne d'un cortège de fléaux, que l'industrie lègue bien légèrement à la société civile. Le Vérificateur général le dit, alors que de nouvelles législations forçaient les entreprises minières à assumer 70% de la restauration des sites, « Québec n'a reçu que 109 millions sur facture réelle de 350 millions ». Est-ce là véritablement de la vision et du développement? Est-ce vraiment avantageux de n'avoir reçu que « 259 millions depuis 2002 pour un total de production de 17 milliards », est-ce normal pour 14 compagnies de ne pas payer de droits miniers sur des revenus de 4,2 milliards »? Si on la juge aux propos de sa porte-parole, on doit conclure que la Fédération des chambres de commerce du Québec a une mentalité arriérée. Si les cadres de l'industrie minière trouvent que le Québec est un si bon endroit pour investir, c'est qu'il se comporte délibérément comme une république de banane. Mme Bertrand voudrait que l'on s'en réjouisse? Les chambres de commerce devraient plutôt encourager un développement responsable, vert et harmonieux de nos territoires, quitte à les laisser prendre de la valeur quand le jeu n'en vaut pas la chandelle.

jeudi 4 juin 2009

La honte

Aujourd'hui, j'ai vraiment honte d'être un citoyen québécois. Rassurez-vous, il ne s'agit pas d'une diatribe à la sauce nationaliste, non il s'agit d'un enjeu plus grave : le ministre Béchard et notre premier ministre Charest ont annoncé dithyrambiquement et publiquement le coup d'envoi des travaux du complexe hydroélectrique de la rivière Romaine. La honte, c'est que ces derniers prétendent que ce complexe produira de l'énergie propre, renouvelable [...] contribuant à la santé économique et environnementale du continent. C'est un mensonge : ce type de production émet certes moins de GES pour chaque kilowatt produit, mais un tel projet a des conséquences énormes sur l'environnement. La création des 4 réservoirs du projet provoquera certainement l'ennoiement de vastes territoires, le bouleversement de tout un écosystème, une hausse de la contamination au mercure et des changements drastiques sur le plan des divers équilibres hydriques d'un des derniers territoires véritablement sauvages du monde. J'ai profondément honte de faire partie d'une majorité de Québécois qui se laisse berner par une aussi vile et grossière manipulation de l'opinion publique. Ce projet est tout sauf « vert » ou moderne. En Allemagne, au Danemark ou en Norvège, ce projet soulèverait des tollés. Ici, Charest et Béchard se vantent alors qu'il s'agit d'une fumisterie, d'une hypocrisie à faire pleurer. Ces actes sont indignes de nous, mais ce qui est proprement infâme, c'est notre absence de réaction. Enfin, fort de son succès, Charest veut maintenant « s'attaquer » à la rivière Petit Mécatina et le plus probable, enfin surtout le plus infâme, c'est que nous le laisserons probablement faire, probablement en l'applaudissant, ce grand bâtisseur.

lundi 6 avril 2009

Pourquoi la presse m'irrite, deuxième partie

Voici une copie du courriel que l'auteur du pamphlet paru n'a pu s'empêcher d'envoyer à Madame Allard pour son article sur la formation des adultes. Nous nous insurgeons contre la piètre rhétorique de La Presse et sa méthodologie vicieuse. Encore une fois, ce journal multiplie les simplifications et diffuse des idées qui nuisent aux acteurs du milieu de l'éducation et à l'esprit communautaire québécois en général.

Voici le courriel :

Je constate que votre c.v est plutôt étoffé : RDI, TVA, La Presse; formation à l'UQAM et ITAIM, c'est pourquoi je suis surpris de constater une légère dérive dans votre article ATTENDRE POUR APPRENDRE.

En effet, la mise en page de la version papier annonce cette information plutôt surprenante : « Incroyable, mais vrai, il est presque aussi difficile d'être admis dans un programme de stérilisation qu'en année préparatoire en médecine. »

J'imagine alors que les guillemets signifient que ce commentaire n'est pas de vous, qu'il s'agit des propos d'un tiers (et qu'on a simplement omis d'indiquer qui l'avait énoncé) . Je lis donc attentivement et je retrouve le passage exact, son contexte et tout ce que je trouve comme fondement à ce commentaire, c'est la statistique sur la sélection des candidats à l'examen d'entrée pour cette AEC en stérilisation biomédicale. Si je comprends bien, on n'accepte que 20% des postulants; il se trouve également que c'est sensiblement le même pourcentage que le nombre de candidats retenus sur l'ensemble de ceux qui soumettent une demande pour être admis dans l'année préparatoire en médecine à l'UDM, mais il n'y pas matière à faire un lien aussi précoce entre ces deux groupes !

Ce n'est pas parce qu'un pourcentage dans l'évaluation de la proportion d'un groupe, dans un ensemble donné, en égale un autre dans une opération mathématique similaire, cette fois entre un différent groupe dans un autre ensemble, que l'on peut en dégager des constantes qualitatives ou corrélatives entre lesdits ensembles.

Vous pouvez encore moins tirer des conclusions de cesdites observations. Ces dernières ne partageant aucun dénominateur commun, il est de surcroit malhonnête de se servir de ces conclusions hâtives et percutantes pour mousser l'impact de vos articles. Si votre écrit était un reportage publicitaire, une chronique de fiction ou simplement un billet d'un blogue sans prétention, ça n'aurait aucune importance, mais dans le cadre d'une contribution sur un sujet important, qui traite d'un enjeu social complexe, et ce, dans une publication sérieuse, par une journaliste émérite, c'est franchement inquiétant.

Je n'ai rien à voir avec la médecine, et mon commentaire n'a pas pour but de la valoriser, je sais simplement que les candidats qui tentent d'entrer dans l'année préparatoire doivent avoir un DEC en sciences de la nature ou l'équivalent, avoir réussi un certain nombre de cours préalables à la formation en sciences de la santé, avoir réussi l'épreuve uniforme de français, posséder un dossier excellent et avoir poursuivi un cursus normal pour ce dernier. Enfin, le dernier collégien convoqué À L'ENTREVUE avait une cote R de près de 34, c'est dire un énorme écart par rapport à la moyenne des étudiants du collégial. J'ajoute aussi qu'une grande partie des candidats détient déjà un diplôme universitaire.

Il s'agit du profil actuel des candidats pour l'admission à l'année préparatoire en médecine, et à moins de constituer un échantillon de ces derniers et de leur faire passer l'examen de l'AEC en question, puis de faire la même chose avec un échantillon des postulants de l'AEC en les soumettant aux critères de médecine, on ne peut faire de corrélation ou de comparaison entre la difficulté relative de l'admission au programme de l'AEC et de l'admission en médecine.

Vous vouliez probablement dire que d'après leurs compétences respectives et leurs attentes, les postulants dans l'AEC semblaient subir la même compétition et la même impression de contingentement que les postulants en médecine, car ils se retrouvaient avec une offre de formation similaire : trop basse par rapport à la demande, mais ça ne peut vouloir dire « qu'il est presque aussi difficile » d'être admis dans ce programme.

En apparence, votre dossier a tout de la méthodologie rigoureuse avec toutes ces statistiques que vous affichez fièrement, mais quand on regarde l'affirmation la plus symptomatique, on constate qu'elle est construite sur du vent. Ce constat m'incite à me méfier de plus en plus de votre journal. Qui vous incite à bâcler de la sorte? Est-ce un simple écart de votre part ou la direction vous force-t-elle à pimenter vos propos, quitte à flouer les lecteurs et à perdre ceux qui sont alertes? Vous ne pouvez non plus vous défendre en alléguant que le commentaire flou de « presque aussi difficile» peut être interprété de bien des façons : avec des études en journalisme et en communication, et votre expérience, vous savez très bien que le lecteur moyen n'y verra que du feu et s'accrochera aux mots « Incroyable » et « médecine ». En définitive, le lecteur croira encore que « le système est pourri », qu'on ne répond pas suffisamment aux impératifs de formation qui « amènent des vraies jobs ». Je caricature à mon tour, mais c'est dire qu'on a sabré dans une formation générale humaniste, critique et de qualité, puisque de moins en moins de gens sont à prêts à s'insurger contre les dérives de plus en plus fréquentes du groupe Gesca.

Je vous souhaite néanmoins une bonne semaine et je vous remercie de l'intérêt que vous portez au monde de l'éducation. Sachez toutefois que certains de vos lecteurs ne sont pas dupes des simplifications et que ces dernières portent ombrage à la probité intellectuelle de certains travailleurs du journal pour lequel vous écrivez.

Le Pamphlet

vendredi 20 mars 2009

Célébrer (tristement) 6 ans d'incompétence

En avril, nous pourrons célébrer le sixième anniversaire de la mainmise de Jean Charest sur notre appareil d'État, un tel anniversaire est une bonne occasion pour exprimer nos doléances. J'aimerais inviter les citoyens, les familles, les entreprises, les associations communautaires, les syndicats et tutti quanti à procéder à un examen pénétrant du bilan de l'administration Charest. Pour ma part, je constate que la culture et l'idéologie du gouvernement sont imprégnées d'une foi aveugle en les vertus du laisser-faire économique, d'un à-plat-ventrisme devant les chambres de commerce, du Québec Inc et du désengagement de l'État qui lui est corollaire. J'estime que c'est ce qui est à l'origine d'une mauvaise interprétation du concept de développement durable et des dérives que ce galvaudage occasionne : Orford, Suroît, loi 9 imposant un moratoire sur la poursuite pour bruit des motoneiges, Port Méthanier Rabaska et finalement, la mascarade des audiences pour la construction d'un complexe sur la Romaine. Les torts remarqués par cette culture en écologie s'étendent à la gestion économique en général : on remarque par exemple l'aveuglement volontaire par rapport aux calculs de la péréquation, l'utilisation de transferts fédéraux pour financer des baisses d'impôts, imbroglio général par rapport à la réingénierie (certains ne l'ont pas oubliée), abus prévisibles et avérés des PPP : le gouffre de l'Ilot Voyageur et l'enrichissement de Busac en témoignent, l'ÉNORME perte de la Caisse de dépôts et placements et enfin l'incapacité de saisir l'opportunité d'augmenter l'assiette fiscale en récupérant la TPS que Harper avait diminuée. Le marasme économique actuel et les années de vaches maigres récemment annoncés sont les conséquences directes de la mutilation délibérée de la capacité financière du gouvernement et non simplement d'une sensibilité particulière du Québec à la crise financière mondiale.

Par ailleurs, en santé et en éducation, Charest fait preuve de la même paralysie : sa gestion provinciale à la petite semaine se traduit par un manque de vision qui engendre une augmentation faramineuse des couts. Aucune mesure pour atténuer le vieillissement de la population n'a véritablement été mise de l'avant, aucune révolution agroalimentaire et sportive n'est en vue et surtout aucun chantier de création d'infrastructures pour la pratique du sport et de l'entrainement en masse n'est à prévoir. Pourtant, tout expert en santé peut témoigner que la prévention coute infiniment moins cher que la maladie et la dégénérescence conséquente à une mauvaise hygiène de vie. Le gouvernement peut refuser de s'immiscer dans les habitudes de vie des citoyens, mais comme il ne se gêne pas pour fouiller dans leurs poches en cas de problème (en empruntant désormais pour que la ponction soit plus grosse par le biais des intérêts que s'il avait été directement chercher les sommes par le biais d'une fiscalité moins généreuse), le minimum consisterait à offrir des conditions pour remédier aux conséquences désastreuses de la sédentarité.

Ensuite, le CHUM, la capitulation par rapport aux urgences, l'incapacité à diminuer les délais en médecine spécialisée, la pénurie de médecins de famille, de candidats en médecine familiale, la situation désastreuse de l'UQAM, le pilotage houleux de la réforme et l'augmentation du décrochage scolaire sont symptomatiques de l'attentisme, du manque de vision et du désengagement général du rôle de l'État qu'a préconisé Charest. Il s'agit simplement de la pointe de l'iceberg des conséquences structurelles profondes des transformations qu'il a opérées au sein de notre gouvernement. Il a sabré dans les services et dans les ressources de la province en invoquant que l'argent était inutilement gaspillé à travers les diverses strates de l'administration publique sans comprendre que le privé ne pouvait faire mieux. En effet, la rapacité des gestionnaires et l'obligation de générer des profits tendent naturellement à diminuer la rétribution des travailleurs ou à générer une plus-value en diminuant la qualité des services. Charest voudrait que l'on brille parmi les meilleurs, alors qu'il ne se contente que de remuer médiocrement. Son populisme en matière d'infrastructures des transports, du manque de vision écologique et surtout des défusions municipales sont de bons prototypes de l'illustration de cette norme,

En dressant le sombre portrait du gouvernement, selon les divers secteurs, peut-être sera-t-il possible de fouetter notre premier ministre et l'inciter, pour la suite de son mandat, à réparer les pots cassés. Après tout, il faut être un véritable génie pour savoir être porté au pouvoir après deux mandats aussi catastrophiques, il faut également avoir des nerfs d'acier pour avoir piloté les élections avec la conscience du naufrage économique qui s'annonçait. Après avoir fait le cancre 6 ans durant, Monsieur Charest pourrait-il enfin redevenir le premier de classe qu'il a déjà été? Daignerait-il partager ses talents, assumer pleinement son rôle de chef dans la tradition coopérative de la société québécoise pour qu’elle livre elle aussi le meilleur d'elle-même ou entretiendra-t-il sa non moins fâcheuse tendance au népotisme, au clientélisme? Il a la chance de se racheter, la saisira-t-il? Mais pour cela, nous devrons être nombreux à l'y inciter : rien de tel qu'un avant-gout de l'héritage qu'il nous aura légué pour l'inciter enfin au véritable dévouement que nous sommes en droit d'attendre du meilleur d'entre nous.

Montréal, le 20 mars 2009

lundi 9 mars 2009

Sophisme hydroélectrique

Dans ces pages, Madame Françoise Bertrand, présidente-directrice générale de la Fédération des chambres de commerce du Québec, semble grandement contente que le BAPE ait approuvé le projet hydroélectrique de la Romaine. Plusieurs sophismes sont tapis dans l'expression de sa joie et il me semble pertinent de les relever. D'abord, elle stipule que ce projet est un baume pour la région et le Québec; tient, nos très actifs et très lucides entrepreneurs carburent au quickfix? Il me semble que comme nouveau souffle, c'est souscrire d'une façon très primaire aux principes d'un développement tous azimuts dont les faillites furent maintes fois démontrées : vendre une énergie québécoise au rabais et ouvrir du même coup un territoire pour un pillage de nos ressources, en dégradant notre environnement au passage, quelle vision d'avenir! Ensuite, Madame Bertrand fait l'économie d'une véritable démonstration des effets pernicieux de la production hydroélectrique, c'est pour elle une énergie propre, exit les conséquences de l'ennoiement de territoires, de la production brute de gaz à effets de serre qui en découle, de la contamination au méthylmercure, de la destruction des écosystèmes, de la perte de végétation justement susceptible de lutter contre l'effet de serre, et d'une grande perturbation de la biodiversité. Tous ces effets qui pourraient être évités si on développait des parcs éoliens à proximité des complexes déjà existants et que l'on se servait de ces derniers comme régulateur et qu'on couplait cette mesure à un plan d'envergure d'économie d'énergie, mais cette alternative, elle ne daigne pas en parler. Finalement, comme dernier sophisme, elle taxe d'oiseaux de malheur, ceux qui osent démontrer que les enjeux sont plus complexes, et qui n'ont d'autres choix que de défendre la Romaine au sud de la frontière, parce qu'ici, les horizons sont véritablement bouchés. Les opinions de notre PDG de la Fédération des chambres de commerce en sont d'ailleurs la plus plate représentation.


Le 9 mars 2009

dimanche 15 février 2009

Pourquoi La Presse m'irrite

Au cours de la semaine, on a appris que la CSDM se plaignait d'une baisse significative de sa clientèle au profit du privé. La presse montréaise a interprété le phénomène à diverses sauces. Jusque-là, j'étais plutôt indifférent, jusqu'à ce que je tombe par hasard sur une chronique de Claude Picher, de La Presse, et que ce dernier me fasse bondir.

Monsieur Picher y démontre simplement qu'un enfant, au privé, coute 40% moins cher à l'État qu'au public. Raisonnement cartésien pour faire taire les détracteurs de ladite école privée, il explique notamment que nous aurions un clivage encore plus grand entre riches et pauvres si l'école privée n'était pas du tout subventionnée. Cependant, il se permet au passage d'écorcher la « gau-gauche québécoise incapable de reconnaitre des avantages du privé » (c'est moi qui paraphrase). Si certains syndicats s'opposent aux subventions du privé en éducation, pourquoi faire porter le chapeau à la gauche en général? Et surtout, pourquoi l'usage, chez un journaliste sérieux du sobriquet «gau-gauche», pourquoi ce jeu de langage réducteur?

Si la chronique de Claude Picher vise juste, si son analyse est cartésienne, pertinente, il donne alors l'impression d'une grande probité intellectuelle. Par l'usage pernicieux d'un commentaire mesquin qui n'a pas sa place, il auréole ce dernier de la crédibilité du reste de ses écrits, mais l'opinion doctrinaire qu'il émet en écorchant la gauche au passage n'a pourtant rien à voir avec le sujet de sa thèse. Monsieur Picher, dites simplement « la gauche » et pendant que nous y sommes, permettez-moi de vous signaler qu'elle est à peu près absente au Québec. Même si nous avons des syndicats, ceux-ci sont beaucoup plus près de la défense des avantages individuels de leurs membres (donc d'un principe de la droite) que du front populaire.

Par ailleurs, j'aimerais revenir sur cette question d'économie que l'État réalise par élève au privé: même s'il « coute moins cher », l'élève n'en est pas moins détourné d'un réseau où de fortes sommes sont immobilisées dans les infrastructures et l'entretient de l'institution. Il n'est pas évident qu'en « soulageant » de ses meilleurs éléments, que le système public convertira ce départ par des économies. Si dans le portefeuille du ministère, la subvention au privé apparait comme un gain, le manque à gagner au jour le jour est assimilable à une perte. Pour une école de 3000 étudiants, l'argent octroyé pour 2500 d'entre eux suffit peut-être à couvrir les « frais d'exploitation », les 500 autres élèves permettent à l'école de devenir un milieu de vie (musique, sport, arts, activités diverses), ce qui d'ailleurs fait la force du privé. La fréquentation en masse permet des économies d’échelle : le départ de 300 élèves (le dixième qui correspond à la fréquentation du privé) amoindrirait donc considérablement la qualité du milieu offert aux 2700 restants. C’est pourquoi «l’économie» qu’offre le privé à l’État n’en est pas vraiment une.

Ensuite, M. Picher explique que grâce à cette subvention, les familles québécoises se permettent l'accès à une école qui serait autrement réservée à une élite. Premièrement, quand la valeur d'un argument ne tient qu'à ce qu'il présente une situation qui n'a davantage qu'à présenter un mal moindre que celui contenu dans le pire des scénarios, on peut déduire que cet argument est plutôt faible. Ensuite, l'argument de Monsieur Picher est fallacieux parce qu'il se sert du fait que des familles au revenu moyen compris entre 60 000$ et 80 000$ peuvent faire des «sacrifices» pour y envoyer leurs enfants.

Si on peut tous faire ces sacrifices, c'est très bien, mais si le revenu familial disponible moyen est de
46 000 $, c'est qu'il y a une méchante frange de la société qui ne peut « s'offrir » ce sacrifice. De plus, certains ménages choisissent d'opter pour le privé, c'est qu'ils considèrent que l'éducation est trop importante pour que celle de leur enfant soit confiée à un système dans lequel ils n'ont aucune confiance. Nous constatons donc une réalité significative ici : ceux, qui dans la société trouvent que l'éducation est importante, constatent que l'ensemble de la société ne la trouve pas assez importante pour avoir un système d'éducation digne de ce nom. Et Monsieur Picher croit que des familles, de cette grande frange de la société qui ne valorise pas l'école, vont se réveiller un matin avec le désir de consentir à plus de sacrifice, avec un revenu inférieur à 46 000$? Si pour ces derniers, l'éducation était un bien en soi, il y a longtemps que le gouvernement se serait engagé, sous leurs pressions, à un investissement bien plus massif de l'école et qu'il aurait initié, avec les restes de la société civile, une valorisation du milieu scolaire. On peut donc conclure, à l'aune une telle intégration de la logique marchande au sein des services qu'offre l'État, qu'on fait l'économie d'une restructuration de l'allocation des ressources sous le prétexte que les citoyens qui le veulent vraiment peuvent férquenter le privé. On ne demande pas l'avis des enfants de ces parents qui soit ne valorisent pas l'école ou soit n'ont pas les moyens d'envoyer leurs enfants ailleurs qu'au « public», ces enfants ont pourtant droit à une éducation de qualité, puisque cette dernière est la seule susceptible d'offrir une chance d'ascension sociale et qu'ils n'ont, de surcroit, aucune autre avenue que le réseau de l'État pour s'initier à cette dernière. La gauche s'oppose au privé à partir du moment où ce dernier est la seule alternative pour palier les défauts système public, cette proposition sert à démontrer que le statu quo est absurde, il légitimiste la dégradation de l'éducation et accélère l'éclatement communautaire. Quant à l'argument, selon lequel un élève sur vingt bénéficie de bourses pour fréquenter le privé, que Picher utilise pour justifier l'équité du système, il s'agit de l'institutionnalisation d'un état d'exception et non d'une mesure ouverte à tous.

Dans la même foulée de mon argumentaire contre les postulats de Picher, je dirais que les « gens de la gauche » se méfient du privé (en général, pas de l'école nécessairement) parce que le privé poursuit son propre intérêt : généralement la réussite, le profit individuel (le tout dans un climat de compétition), et ce, au détriment du collectif. Les journalistes, qui , comme Claude Picher, veulent nous faire avaler la couleuvre qui prétend que cet enrichissement des particuliers est prompt à créer de la richesse pour tous, nous induisent en erreur. Même en état de prospérité, la lutte pour obtenir son bien exige ensuite un repli sur soi, où le repos est obtenu par des récompenses que seul un haut statut social permet d'obtenir. Plus on monte dans la hiérarchie sociale, plus on devient méritant (parce qu'on peut se payer plus). Cette façon de faire institue implicitement des grilles où les citoyens se comparent pour jouir de leur bonheur. Ce dernier ne peut donc être permanent et l'insatisfaction stimule alors à nouveau la lutte. Cet état de combat, de compétition ne peut qu'exacerber l'individualisme. C'est pourquoi la gauche craint le marché : il mine le tissu communautaire, rabaisse la fonction citoyenne à celle d'une clientèle et propose la consommation comme seul projet social.

Cette apparente digression vers le privé est une réponse de mon cru au mépris du terme «gau-gauche» lancé sans raison par Picher dans son argumentaire sinon que pour miner insidieusement, chez le lectorat, la perception de la gauche. C’est une pratique malheureuse, car elle fait l'économie d'un réel débat entre la droite et la gauche où la gauche forcerait naturellement la droite à réexaminer sa foi en le privé et le marché.

Les travers de la gauche sont connus : elle mise sur l'État, or ce dernier est lourd, bureaucratique, couteux et inefficace. Toutefois, les défauts de l'État sont tout aussi visibles chez toute corporation qui atteint une certaine taille. Les travers du privé me semblent bien pires : pour fonctionner, le priver doit générer du profit, or ce profit ne réside qu'en peu de domaine : on vent plus cher qu'on ne produit. Pour y arriver, on peut soit mousser le prix de vente ou rogner sur le prix de production, idéalement on fait les deux. Quelque part dans la chaine, on emprunte à la force des travailleurs ou des clients pour capitaliser cette énergie dans la survie de l'entreprise. Pour que cette dernière soit compétitive, elle doit être dirigée par des individus susceptibles d'être à l'aise dans la fosse aux lions du marché, plus l'entreprise saura satisfaire son avidité grâce à leurs talents, mieux elle se portera. Comment exiger que des individus sachent faire profiter de leurs talents l'entreprise, sans penser qu'ils sachent utiliser ces talents pour eux-mêmes? Le privé est donc, par effet de contamination au milieu, susceptible d'exacerber la cupidité, l'individualisme, la rapacité et la petitesse. Une entreprise qui a ces qualités (et qui sait machiavéliquement feindre le contraire) s'épanouit et plait à ses actionnaires. Vous voudriez que ces administrateurs soient ensuite des parangons de vertu?

Notre modèle d'échange économique est donc régi par des «qualités» que nous ne saurions tolérer longtemps dans notre entourage; la gauche s'insurge de ce que le bien public puisse être laissé aux soins d'individus cultivant des valeurs contraires aux valeurs morales usuelles. Les forces du marché sont usurières, il faut en protéger la société. Voilà le début d'un débat entre la gauche et la droite.

Le problème de l'école reste en suspens, je doute qu'un débat sur les écoles privées et publiques suffise à circonscrire même le début d'une solution pour la « crise de l'éducation au Québec ». Je me sers simplement de cette chronique de Picher pour exposer les méthodes fallacieuses que je trouve souvent dans La Presse, et qui sont indignes d'un journaliste rigoureux. Le public ne se rend pas compte que de riches groupes corporatifs usent des journaux pour déformer la réalité en présentant cette dernière sous un jour qui leur est favorable. Le glissement « gau-gauche » de Picher et sa manière d'interpréter les faits servent à manipuler l'opinion de telle façon, que régulièrement, des projets contraires au bien commun sont acceptés sans que la société ne réagisse. Voilà pourquoi La Presse m'irrite. Et je trouve inacceptable que des gens intelligents, des plumes si efficaces, des cerveaux si pénétrants soient à ce point au service d'une idéologie si contraire à celle de leurs frères humains.

Parce que « plus de privé » implique plus de « socialisation des pertes et plus de privatisation des profits », le seul recours du citoyen ordinaire est dans l'État. Au moins, avec lui, nous avons un droit de regard sur ces divers débordements bureaucratiques : ses dérives peuvent être lentement corrigées; le marché par contre est fallacieusement miné par ses propres valeurs performantes.

Je ne m'oppose pas au privé à l'école, je m'oppose aux Picher et cie, qui se servent de leurs forums, sous le prétexte de commenter l'actualité, pour faire valoir, sur un ton paternaliste et parfois méprisant, des idéaux contraires aux véritables besoins de la fraternité humaine.