dimanche 9 mai 2010

Pour la culture


Gilles Laplante me demandait d'expliquer ce que j'entendais par «la culture devrait échapper à cette logique marchande»

Voici ma réponse :

Il y a une question de fond à votre interrogation Monsieur Laplante, il s'agit d'un enjeu philosophique et artistique : «qu'est -ce que la culture?»

La réponse est riche, complexe, plurielle, mais surtout, la culture se distingue de l'industrie, du commerce, des échanges mercantiles de ce qu'elle n'est pas un «bien» au sens immanent, mais une richesse au sens transcendant. Goethe je crois a dit : «la culture c'est ce qui se transmet d'une génération à l'autre», on pourrait aussi penser à Hegel et se référer au «Geist».

La différence donc entre culture et industrie, c'est que le promoteur, le producteur, voient le domaine culturel comme un espace de profit potentiel, un espace comme un autre, dans lequel ils se sont spécialisés pour «faire des affaires». La qualité d'une pièce, d'un artiste, à leur yeux, c'est le potentiel en terme de rendement économique qu'il représente.

Homère, Ovide, Socrate, Platon, Pic, Erasme, Cervantès, Rabelais, Molière, Lafontaine, Bach, Mozart, nous sont connus non pas parce qu'ils fracassent un niveau de vente, mais pour leur aptitude à exprimer le «beau», et le «vrai». Ce qui nous amène à parler d'art.

La quête créatrice, l'expression artistique a pour domaine l'absolu; le commerce, lui, est assujetti à la contingence, au déterminé : il est difficile pour lui dans ce contexte de savoir dépasser les paradoxes entre infiniment universel et l'infiniment local.

Les artistes ne «vendent» pas cela, c'est impossible, ils nous demandent un soutien pour qu'ils puissent consacrer leur vie à la recherche de la forme, de l'expression des découvertes sensibles qui les font vibrer.

Cela ne veut pas dire qu'un succès artistique ne peut-être commercial, ni qu'un succès commercial ne peut être artistique...

Vouloir que la culture échappe à la logique marchande, c'est accepter qu'elle n'appartienne pas au dictat de la rentabilité. Pour qu'un génie comme Gainsbourg, Ferré, ou Baudelaire émerge, il faut peut-être une armée d'artistes qui tentent leur chance.


Donc justifier un festival (ou une autre activité culturelle) à l'aune du simple succès commercial, c'est limiter la culture et l'art à une dimension relative extrêmement réduite par rapport à leur rôle humain véritable. Dans la situation d'une nation québécoise très fragile, la culture joue un rôle prépondérant, à la fois dans notre rayonnement, que comme espace de représentation.

En limitant les occasion de jouer un rôle culturelle, nous acceptons, culturellement d'être remplacés. Et comme en tant que nation minoritaire nous sommes politiquement, économiquement et socialement constamment remplacés, parce qu'intégrés dans un système politique qui est le reflet des institutions d'un peuple majoritaire qui n'est pas le nôtre, nous avons besoin des ailes que nous procure l'épanouissement artistique et culturel (parce qu'absolu et transcendant comme je l'ai dit plus haut).

Est-ce plus clair?

Si ça ne l'est pas, voici quelques lecture : il faut d'abord lire l'excellente critique de Baudelaire, «Le peintre de la vie moderne»


Un peu de Miron ne fait pas de tort :

«Je suis sur la place publique avec les miens

la poésie n'a pas à rougir de moi

j'ai su qu'une espérance soulevait ce monde jusqu'ici.»



Il n'avait pour armes que sa voix et sa voix tonnait haut :

«je radote à l'envers je chambrale dans les portes

je fais peur avec ma voix les moignons de ma voix.»

Avec simplement cela il va «s'arracher le colonialisme de la gueule»



Vous pourrez terminer avec Wilde (dans sa préface au Portrait de Dorian Gray) et vous aurez mieux compris ce que j'entendais par mon refus de l'aliénation de l'art par le commerce.



Nous pourrons plus facilement discuter à l'aune de votre interprétation de ces textes ou de textes de votre choix.

L'Engagé

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